Gourvernance municipale verte : comment intégrer les biens et services écologiques dans la prise de décision?

Sur les 9 milliards de personnes que comptera le monde d’ici 2050, plus de 6 milliards vivront dans les villes. Comme on le sait, le développement démographique et le rayonnement industriel que témoignent ces derniers siècles ont touché considérablement les écosystèmes naturels et les espèces qui y trouvent refuge (2). L’utilisation irrationnelle des ressources, les émissions de gaz à effet de serre (GES), la fragmentation et l’érosion des habitats naturels, et la pollution terrestre, hydrique et atmosphérique sont autant d’effets néfastes que peut engendrer une planification urbaine déficiente.

Comment intégrer les considérations environnementales dans la prise de décision

Votre ville possède, depuis l’adoption de la loi 122 en 2017, plus de pouvoirs et de responsabilités en matière d’aménagement du territoire et d’environnement. La valeur que procure la nature est un débat passé depuis 15 ans (3). Malgré ce consensus scientifique, cette valeur économique échappe au processus décisionnel et administratif municipal.

Les villes ont aussi de la difficulté à allier les besoins socioéconomiques et les besoins des écosystèmes. Il est donc important de trouver une méthode efficace pour intégrer les biens et services écologiques dans la gouvernance municipale, c’est-à-dire incorporer des considérations environnementales dans la prise de décision, plus particulièrement par une meilleure prise en compte des boisés urbains par la municipalité.

Existe-t-il des cadres de gouvernance municipale qui vous permettrait d’intégrer les biens et services écologiques dans la prise de décision ?
Quels sont les principaux enjeux et barrières qui empêchent cette intégration à l’heure actuelle ?

Globalement, il faut revoir le cadre fiscal et comptable afin d’apprécier la juste valeur de la forêt urbaine et d’atteindre les objectifs gouvernementaux de conservation. Les municipalités doivent utiliser les outils et les techniques existants pour atteindre leurs objectifs environnementaux et pour optimiser des décisions permettant l’amélioration du bien-être de la communauté, en complémentarité avec les approches sociales et écologiques. Voici une démarche qui pourrait vous être utile.

L’ABC de la gouvernance municipale verte

1. Changer de l’intérieur et améliorer les pratiques

Les municipalités doivent faire un effort dans leurs pratiques internes en matière de prise en compte des biens et services écologiques (BSE) de leur territoire. Dans cet ordre, les villes pourraient...

  • Quantifier la valeur des BSE rendus par les écosystèmes,
  • Effectuer des études avantages-coûts pour faciliter la prise de décision afin d’illustrer l’importance économique des BSE pour la collectivité,
  • Accroître la recherche sur les impacts anthropiques liés à l’aménagement du territoire sur les BSE des municipalités,
  • Trouver une méthode d’évaluation des BSE simple afin que les municipalités utilisent la même méthodologie,
  • Inclure les différentes parties prenantes au processus de décision en matière d’aménagement urbain,
  • Rendre accessibles les démarches utilisées pour que d’autres villes en prennent exemple (4).

2. Engager les parties prenantes : la clé !

Les municipalités devraient mettre en place un processus plus important de participation publique aux décisions publiques et la gestion du territoire qui permet aux citoyen.ne.s de partager leurs préoccupations et intérêts. Sachant l’importance des BSE pour la communauté, les villes devront s’assurer de bien communiquer l’information. (5) 

3. Intégrer des méthodes d’évaluation des BSE en amont de la prise de décision en conseil de ville (6)

L’inclusion des méthodes d’aide à la prise de décision, comme inclure le coût de remplacement, permet de prendre une décision éclairée. Par exemple, avant de développer un boisé, la ville devrait faire une analyse avantages-coûts. Après une analyse avantages-coûts, la ville de Gatineau a décidé de protéger la forêt Boucher. En effet, les élus ont constaté que la forêt jouit d’une riche biodiversité malgré la destruction progressive de son territoire et les activités perturbantes auxquelles elle a été assujettie. On y trouve plus de 400 espèces végétales et animales. Cette forêt demeure le dernier refuge des espèces délocalisées par l’urbanisation. Le potentiel écologique révèle également que la forêt Boucher a une valeur très élevée. Selon une étude réalisée en 2010, l’évaluation de l’intérêt écologique faite sur la base d'une analyse multicritère à deux échelles estime la valeur plausible des biens et services écologiques de la forêt Boucher à six millions $ par année (7).

4. Utiliser les leviers actuels

Des outils et des règlements peuvent être utilisés pour mieux intégrer les BSE. La Loi sur les compétences municipales (LCM) et la (LAU) confère aux municipalités le pouvoir d’adopter des règlements relatifs à plusieurs sphères de l’environnement (protection de l’environnement, assainissement de l’atmosphère et des eaux, gestion des matières résiduelles, parcs, énergie, salubrité, etc.). Pour orienter le développement de leur territoire, les municipalités disposent d’outils de gestion, de taxation, de planification et de réglementation qui leur sont conférés en vertu du cadre légal ainsi que d’outils non réglementaires (politiques, énoncés de vision, programmes de subvention, etc.). Géopolitiquement, les villes à travers le monde gagnent en pouvoir et en notoriété. Pour cela, des réseaux de type ICLEI (Local Governement for Sustainability) peuvent être développés internationalement afin de permettre aux villes de communiquer et de s’inspirer entre elles.  

5. Utiliser la nouvelle latitude offerte par la Loi 122

La loi 122 offre plus de pouvoirs et plus de responsabilités et permet d'augmenter la contribution pour fins de parc. La nouveauté de cet outil dans les pratiques de gouvernance locale est méconnue et permet une diversification des sources de revenu des municipalités. Le succès de la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu devrait être pris en exemple par d’autres municipalités qui craignent les récidives juridiques (7). Ainsi, la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu oblige les développeurs à participer à son plan de conservation des boisés en milieu résidentiel (Blanc). Dans la mesure où ces terrains sont retenus à des fins de conservation, les développeurs de terrains sont appelés à les acquérir et à les céder à la Ville à des fins de compensation. Le but de ces acquisitions est de préserver à perpétuité certains espaces précis constituant le plan de conservation des milieux naturels. La Ville contribue également à l’acquisition de cette banque de terrains. Elle se constitue un fonds d’acquisition des terrains à conserver, notamment en prélevant une redevance au développement équivalente à 15 % de la valeur des sites à développer. Les municipalités peuvent notamment investir dans le fond SNAP qui a pour objectif de bonifier la mise de fonds de 31,25 % et à faire évoluer à la hausse ce rendement grâce à la participation de tiers, tels que le gouvernement ou des partenaires privés (8).

6. Développer des partenariats intergouvernementaux  

Il est possible de mettre sur pied un comité de travail composé d’acteurs du gouvernement provincial et du secteur municipal afin d’étudier et d’appuyer la mise en œuvre d’initiatives d’intégration des BSE. 

8. Réformer le cadre fiscal municipal

Afin de diminuer la pression sur les finances publiques, il importe de réduire la dépendance des municipalités à l’impôt sur la valeur foncière (9). En effet, en moyenne 75% des revenus des villes proviennent de la taxation foncière. Il serait judicieux de diversifier les sources revenu des villes afin de les rendre moins dépendantes du développement immobilier. Plusieurs solutions existent, telles que le partage du 1% de la Taxe de vente du Québec (TVQ).

9. Adopter une loi 132 pour les boisés ?  

L'instauration d'une loi sur la compensation des milieux forestiers (LCMF), à l'image de la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques (LCCMHH), serait judicieuse.  La LCCMHH vise zéro perte nette de milieux humidessur le territoire du Québec. une telle loi aurait la même finalité de protection  pour les milieux forestiers.

10. Changer les règles du jeu

Une autre réforme juridique pourrait être demandée au ministère des Affaires municipales (MAMH) pour intégrer les BSE à la gouvernance municipale. Des éléments de la loi devront être modifiés ou ajustés afin de favoriser l’intégration des BSE. Le gouvernement devrait modifier les normes comptables afin de reconnaitre la comptabilisation des infrastructures vertes des municipalités. Le Conseil sur la comptabilité dans le secteur public a beaucoup à considérer et doit saisir l’opportunité actuelle pour faire en sorte qu’on valorise les BSE qu’offrent les milieux naturels.  

11. Obliger le verdissement en instaurant la politique du 1 %

Une politique du 1 % pour les infrastructures naturelles et les phytotechnologies pourrait être adoptée à l'image du  1% pour les arts, mais s’appliquant, dans ce casi, aux investissements publics et privés en infrastructure. Les fonds recueillis seraient dédiés au verdissement des projets publics.

12. Intégrer la comptabilisation des écosystèmes au bilan annuel des villes

Les indicateurs de performance municipale sont liés à la performance économique de l’administration. Ainsi, les villes sont classées selon plusieurs barèmes d’efficacité. Ces indicateurs n’illustrent pas le capital naturel de la ville et par ce fait, démontrent que ce n’est pas pris en compte. Donc, il serait pertinent de valoriser le capital naturel des villes en fonction d'indicateurs de perforamnce environnementale  et de le comptabiliser dans votre bilan annuel.    

13. Créer un protocole de crédit de compensation : Fond vert et villes

Un système de crédit de compensation portant sur le boisement et sur le reboisement pourrait être instauré et serait applicable sur le territoire forestier privé du Québec.  Ainsi le ministère de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) identifierait la valeur de captation des boisés supplémentaires, reconnaissant ainsi les valeurs écologiques et économiques. Votre ville pourrait éventuellement, selon les choix élaborés du protocole compensatoire, financer une partie de ses activités de plantation à même les crédits compensatoires. Un mécanisme rigoureux assurerait  le suivi et quantifierait les GES séquestrés par le boisement.  

BREF !

Les municipalités doivent prendre en compte les BSE dans leurs décisions quotidiennes. L’administration municipale doit tout d’abord qualifier et quantifier les BSE sur son territoire. Pour ce faire, des modèles de gestion comme ITREE peuvent être utilisés. Ensuite, votre ville pourrait créer un plan de communication pour informer la population, et la consulter, afin de s’assurer de l’acceptabilité sociale. Les exemples de réussites devraient être partagés afin d'inspirer les autres municipalités à entreprendre des actions vers une gouvernance municipale verte qui intègre les BSE.

Saviez-vous que...

La ville Göteborg, en Suède, a fixé des objectifs environnementaux et climatiques élevés, et la finance est devenue une solution clef pour arriver à ses fin. En 2013, la ville de Göteborg est devenue la première ville au monde à émettre des obligations vertes, ce qui lui permet d'emprunter de l'argent pour des investissements qui profitent à l'environnement. Plus de 75% des obligations vertes émises entre 2013 et 2015 sont utilisées par la ville pour financer des projets qui favorisent la transition vers une croissance à faible teneur en carbone et résiliente au climat.

« Ce n’est pas à la nature de s’adapter aux villes,
c’est aux villes de s’adapter à la nature. »
-EGG

 

Liste des références

(1) Millennium Ecosystem Assessment, (2005). Guide of Millenium Assessment Report

(2) The Economics of Ecosystems and Biodiversity (TEEB) (2010). L’économie des écosystèmes et de la biodiversité : fondements écologiques et économiques. Edité par Pushpam Kumar, Londres, Royaume-Uni: Earthscan. 

(3) Millennium Ecosystem Assessment, (2005). Guide of Millenium Assessment Report

(4) Ville de New York (2018). New York City Street Tree Map.  

(5) Ville de Gibsons (2017). Update on Town of Gibsons’ approach to natural assets: staff report to the Committee of the Whole.

(6) Ville de Nanaimo (2018). Asset Management within the City of Nanaimo.

(7)Smi Aménatech Inc., (2010). Évaluation écologique de la forêt Boucher. Intérêt écologique et valeur économique. Rapport présenté à la ville de Gatineau.

(8) Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu, (2015), Plan de conservation des milieux naturels

(9) Société pour la Nature et les Parcs (SNAP) (2018). Le Fonds des municipalités pour la biodiversité

(10) Vérificateur général du Québec (2012). Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2012-2013 : Chapitre 4 - Déficit d’entretien des infrastructures publiques, 2012, 45 p. 

(11) Alliance Ariane, (2018). Pour une politique nationale d’aménagement du territoire pour le Québec.  

 

Émile Grenon-Gilbert, M.Env et Conseiller municipal

Municipalité de Mont-Saint-HilaireCourriel : emile.gilbert@villemsh.ca
Téléphone : 438-872-1790
Site web : https://www.villemsh.ca/
  • Adaptation et atténuation